La multiplication des sites internet sur la toile constitue un marché économique de plus en plus important. Réseaux sociaux, blogs, sites en tout genres se développent en contradiction parfois avec les droits de la propriété intellectuelle. Conception récurrente, la question de la titularité des droits sur un site internet demeure souvent incertaine, ce qui peut avoir des conséquences majeures pour les acteurs économiques d’internet. D’envergure internationale, le débat sur la titularité des droits est actuellement mis en lumière aux Etats-Unis, par l’affaire Phone Dog et en France, par un jugement récent du Tribunal de Grande Instance de Paris. Deux décisions qui pourraient chambouler le système économique des sites sur le net.
A qui appartient un compte Twitter ?
La réponse aurait pu se résumer à l’utilisateur du compte et pourtant un contentieux américain récent, relatif au réseau social Twitter, pourrait remettre en cause ce postulat. Un ancien employé de la société Phone Dog Média, Noah Kravitz, alimentant le média social de cette dernière pendant prés de quatre ans, démissionne en octobre 2010. A la rupture de son contrat, il obtient l’autorisation, par son ex employeur, d’utiliser le compte Twitter de l’entreprise, qui est alors suivi par prés de 17000 internautes (followers), si celui ci continu de le faire évoluer. Huit mois plus tard, Phone Dog intente une action judiciaire contre le blogueur, qui utilise toujours le compte sous son propre nom, estimant que les followers du compte constituent une liste de clients appartenant à la société. Cette dernière réclame 340 000 dollars (260 000 euros) de dédommagement, soit 2,5 dollars mensuel par suiveur.
Selon un communiqué de l’entreprise, « les coûts et les ressources investis par PhoneDog Media pour faire avancer sa notoriété et le nombre de ses abonnés dans les médias sociaux sont importants, Phone Dog Media les considère comme sa propriété ». En effet, les entreprises l’ont bien compris, un site internet constitue un lien direct indispensable entre une marque et ses possibles clients, avec des retombées économiques faramineuses. La perte de la titularité d’un média social si elle devait être entérinée pourrait être dommageable à bien des égards.
Pour Henry Cittone avocat spécialisé en propriété intellectuelle « beaucoup de nos clients s’inquiètent des questions de l’appartenance des comptes sur les médias sociaux ». Une décision défavorable pour « les clients » (comprendre les entreprises qui utilisent la toile comme vitrine de leurs activités) constituerait une dérive économique majeure et un système à sûrement repensé. Outre cette décision qui devrait faire grand bruit, la justice française s’intéresse aussi au caractère de la propriété d’un site.
Quelle est la position française ?
Dans un arrêt du Tribunal de grande instance de Paris, du 10 novembre 2010, la cour a affirmé que l’auteur d’un site internet est « le prestataire qui l’a développé sans consignes précises de son client. » Ainsi un site internet constitue une œuvre originale appartenant au web master qui la crée. Dés lors le prestataire de service peut revendiquer une qualité d’auteur sur son œuvre, a défaut de transfert de titularité, l’utilisation du site suppose l’autorisation de l’auteur.
Cette décision est toutefois à nuancer en ce qu’elle admet cette qualité à défaut d’« indications précises sur la présentation des différentes pages et l’agencement des éléments qui les composent, sur le graphisme, l’animation ou l’arborescence favorisant la consultation d’un site » qui auraient put être donner par la société qui souhaite mettre en place un site internet. En l’espèce la cour n’applique réellement qu’un principe traditionnel de la propriété intellectuelle française, en considérant l’auteur comme celui qui a imprégné personnellement son œuvre.
La tradition française est directement attachée à une notion intellectuelle de la création. L’empreinte du créateur, permet de lui octroyer des prérogatives aussi bien patrimoniale que morale, qui lui donnent des droits sur l’utilisation future de l’œuvre (droit de paternité, intégrité de l’oeuvre…). Ce postulat implique que soit réglée contractuellement la titularité des droits d’auteurs, afin d’éviter dans le cas présent un rôle fort du webmaster.
Quelle position adoptée ?
« Nous avons l’intention d’agir avec détermination pour protéger nos listes de clients et leurs informations confidentielles, ainsi que notre propriété intellectuelle et nos marques », déclare Phone Dog Média dans cette affaire. Effectivement, le secteur de l’internet constitue une véritable manne financière devant être protégée par les entreprises. Internet engendre 20 % de la croissance mondiale, et les sites internet font l’objet de transactions financières par des grands groupes. Ce trésor, suppose, tout du moins pour les entreprises, d’être bien gardé.
Toutefois, en dehors des considérations économiques, comme dans la conception française, l’auteur d’un site devrait être celui qui a investit ce dernier de sa personnalité, de sa création originale. Dans le cas de Twitter, il est probable de supposer idéologiquement que c’est le talent, l’empreinte personnelle du blogueur qui a permis au réseau social de l’entreprise d’être suivi par un nombre si important de followers. Néanmoins, l’importance économique d’une telle affaire peu à tort ou à raison emporter une décision différente. Le pouvoir de l’argent ou du talent, c’est à la justice américaine de déterminer celui qui devra s’imposer.
Sources :
- BIGGS J., « A Dispute Over Who Owns a Twitter Account Goes to Court », New York Times, mis en ligne le 25 décembre 2011, consulté le 26 décembre 2011, http://www.nytimes.com/2011/12/26/technology/lawsuit-may-determine-who-owns-a-twitter-account.html?_r=1
- Le Nouvel Observateur avec AFP, « La société PhoneDog a déposé une plainte contre son ancien employé Noah Kravitz qui ne veut pas renoncer à son compte Twitter. », Nouvel Observateur, mis en ligne le 29 décembre 2011, consulté le 29 décembre 2011, http://tempsreel.nouvelobs.com/high-tech/20111229.OBS7706/etats-unis-quand-entreprise-et-employe-se-disputent-un-compte-twitter.html
- REDACTION, « Bolloré rachète jeanmarcmorandini.com », Arrêt sur images, mis en ligne le 7 décembre 2011, consulté le 15 décembre 2011, http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=12649
- Brève d’actualité, « un site appartient au prestataire qui l’a conçu », Legalis, mis en ligne le 30 novembre 2011, consulté le 15 décembre 2011, http://www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=3278
- VATIN O., «Internet représente 20% de la croissance économique mondiale », l’informaticien, mis en ligne le 24 mai 2011, consulté le 28 décembre 2011, http://www.linformaticien.com/actualites/id/20742/internet-represente-20-de-la-croissance-economique-mondiale.aspx
- Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 4ème section Jugement du 10 novembre 2011, « Victoriaa, Estelle G. / Linkeo.com, Stéphane C. » jugement disponible sur Legalis, http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=3277La