Le “sample” ou échantillonnage, est une pratique consistant à incorporer l’extrait d’une œuvre musicale (sons, rythmes, etc.), dans une seconde œuvre. Cette technique est très présente dans la musique Hip-hop et électronique mais au niveau juridique, elle entraîne de nombreux problèmes, notamment sur le terrain du droit d’auteur. En effet, le plus souvent, les artistes font usage de cette technique sans aucune autorisation de l’auteur de l’œuvre d’origine. Ce dernier peut alors invoquer son droit d’auteur pour faire cesser la contrefaçon ou réclamer des dommages et intérêts.
En France, le premier contentieux à avoir traité une question d’échantillonnage est un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris, du 2 décembre 1993. En l’espèce, les humoristes “Les Inconnus” avaient repris l’extrait d’une musique de “Maceo Parker” saxophoniste, dans une parodie musicale. L’affaire avait abouti à la condamnation des artistes ayant pratiqué le “sample”. Les juges ont retenu que l’échantillonnage avait été effectué “avec une légère accélération de la bande, d’où le passage à un ton au-dessus et à un tempo plus rapide”, ne permettant pas de masquer l’échantillon restant alors, reconnaissable.
Cependant, au vu du contexte musical actuel, cette nouvelle pratique génère inéluctablement des complications juridiques avec notamment, une opposition entre droit d’auteur pour les uns et liberté de création artistique pour les autres. Le “sample” tend à s’ancrer petit à petit dans la jurisprudence mondiale, notamment dans deux arrêts de 2016, susceptibles de changer la donne.
Une pratique anciennement considérée comme contrefaisante
L’Amérique est ce que l’on pourrait appeler “le berceau de l’échantillonnage”, où le premier contentieux a été jugé en 1991. Il s’agit de l’affaire “Grand Upright Music LTD c. Warner Bros Records Inc.”, jugée par la District Court de New York. Dans cette affaire, les juges ont affirmé que “le sampling non autorisé peut être qualifié de contrefaçon”. Là commence le début de la lutte contre cette pratique, jugée totalement illicite à l’époque.
En France, la pratique de l’échantillonnage a été juridiquement définie par la Cour d’Appel de Paris en 2004 : “la technique du ‘’sample‘’ consiste dans l’intégration d’extraits musicaux dans une autre œuvre et ne peut, du fait de sa fragmentation qui constitue une altération de l’œuvre première, être pratiquée sans l’autorisation de l’auteur” (Cour d’Appel de Paris, 22 octobre 2004, Cerrone c/ Alain Wisniak et autres). La pratique du “sample” était de fait, totalement critiquée et rejetée dans la majorité des pays. Les juges ont en effet, toujours considérés que cette pratique portait atteinte au droit moral de l’auteur sur le fondement de l’article L121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, concernant le droit au respect de l’œuvre.
Le droit français comme le droit américain, prévoyaient donc qu’il était incontournable de demander une autorisation à l’auteur pour utiliser publiquement une de ses œuvres. Pendant de longues années, les juges ont donc reconnus une certaine supériorité du droit d’auteur. La France a historiquement toujours été très protectrice des droits accordés aux auteurs, tout comme l’Europe. Cependant, on semble aujourd’hui assister à une inversion de la tendance.
Les prémices d’une reconnaissance d’un droit au “sample” au moyen d’une mise en balance des intérêts
Un véritable droit au “sample” semble émerger un peu partout dans le monde et plusieurs affaires permettent de considérer qu’une telle évolution est amorcée.
En effet, dans deux affaires récentes, les juges se sont basées sur le critère du caractère reconnaissable de l’emprunt par le grand public afin de déterminer si la pratique du sample était ou non, constitutive d’un acte de contrefaçon. Il a donc fallu rechercher le juste équilibre entre droit d’auteur et liberté de création.
D’une part, le 31 mai 2016, après 19 ans d’affrontement entre un groupe allemand et un producteur compositeur, la Cour Constitutionnelle allemande a donné raison au producteur de la chanson incriminée, estimant que l’intérêt artistique devait prévaloir sur les intérêts économiques. Le groupe se battait afin de faire reconnaître leurs droits sur un rythme de percussion de deux secondes, repris en boucle dans une autre chanson. Les juges ont considéré que si l’atteinte aux droits d’exploitation d’un auteur était “marginale, alors la liberté artistique prend le pas sur les intérêts du propriétaire du droit d’auteur”. Dès lors, le groupe vient indirectement de légaliser le “sampling” en Allemagne, en perdant un procès qu’il avait lui même intenté.
D’autre part, les juridictions américaines ont, à l’instar de l’Europe, rendu une solutions jurisprudentielle similaire. Dans un arrêt du 2 juin 2016, les juges américains ont inversé la tendance. En l’espèce, Madonna avait repris un extrait musical de quelques seconde d’une autre œuvre. Dans son raisonnement, la Cour d’Appel fédérale américaine n’a pas ignoré le fait que la reprise d’extraits musicaux, même courts, est protégée par le droit d’auteur. Toutefois, elle a considéré que le public ne pouvant déterminer s’il y avait ou non un “sample”, cela ne portait alors pas atteinte aux droits d’auteur.
Afin de démarquer le “sample” de la contrefaçon, la tendance jurisprudentielle actuelle semble reconnaître qu’un auteur ne peut aller à l’encontre de cette pratique sur l’une de ses œuvres, si le public n’est pas en mesure d’établir un lien direct entre les deux œuvres. Les deux arrêts précédemment cités nous permettent alors de constater que la jurisprudence commence à favoriser l’industrie musicale et la production culturelle au détriment des droits de propriété*. En effet, les juges ont renforcé la liberté de création des individus. Alors qu’avant, ils avaient pour habitude de reconnaître une certaine primauté aux droits des auteurs, cette primauté semble parfois s’atténuer et ce constat ne s’établi pas seulement en matière musicale.
Une reconnaissance formelle possible par la qualification d’œuvre composite
La question de cet emprunt reste un débat délicat, tant tu point de vue des auteurs originaux, soucieux de protéger leurs créations, que du point de vue des artistes pratiquant le “sample”, prônant leur liberté de création. Il est certain que si l’extrait ne peut être reconnaissable par le grand public, qualifier la chanson de contrefaisante est en mon sens, injustifié.
Toutefois, une qualification pourrait être envisageable afin de permettre en Europe, de reconnaître juridiquement cette pratique. Il s’agit de la qualification d’oeuvre composite. La définition de l’oeuvre composite colle tout à fait à celle du “sample”, résidant toutes deux dans l’incorporation de certains éléments d’une oeuvre préexistante dans une oeuvre nouvelle, sans collaboration.
Dans un arrêt du 15 mai 2015, une solution pouvant être, par analogie, applicable au sample, a été rendue par la première chambre civile de la Cour de Cassation. L’affaire concernait une œuvre composite, avec l’incorporation par un peintre d’une photographie dans son tableau. Les juges ont donné raison au peintre, encourageant une fois de plus la liberté de création, car le critère du caractère reconnaissable de l’emprunt par le grand public n’était pas établi. Ainsi, au même titre que les peintures, les musiques composées de “sample” pourraient donc être également protégées au nom de la liberté de création, à condition que l’extrait soit suffisamment “maquillé”.
Une telle reconnaissance ne serait alors que positive pour les auteurs, à qui, il suffirait de masquer suffisamment l’extrait emprunté pour ne pas risquer d’être poursuivi pour atteinte au droit d’auteur. Ce changement de tendance jurisprudentielle pourrait donc aboutir à un réel revirement de jurisprudence au niveau mondial. Reste à voir si cet alignement entraînera une reconnaissance plus formelle d’un “droit au sample”, constituant déjà une pratique courante et reconnue depuis longtemps en Pologne.
SOURCES :
*(M.) CAHEN, “La reconnaissane d’un droit au sample”, legavox.fr, publié le 15/09/2016, consulté le 10/11/2016, http://www.legavox.fr/blog/murielle-cahen/reconnaissance-droit-sample-21788.htm#.WCL-PS3hDIU
(A.) CHERON, “La reconnaissance d’un ”droit au sample” en faveur de Madonna”, influencia.net, publié le 06/06/2016, consulté le 09/11/2016,http://www.influencia.net/fr/actualites/art-culture,observatoire-influencia,reconnaissance-droit-sample-faveur-madonna,6405.html
ANONYME, “Kraftwerk perd deux secondes de droit d’auteur”, culturebox.francetvinfo.fr, publié le 31/05/2016, consulté le 10/11/2016, http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/electro/kraftwerk-perd-deux-secondes-de-droits-d-auteur-240497
(T.) RYCHLICKI, (A.) ZIENLINSKI, “Le ”sampling” est-il toujours constitutif d’atteinte au droit d’auteur ?”, Magasine de l’OMPI, publié en novembre 2009, consulté le 20/11/2016, http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2009/06/article_0007.html