L’internet a eu des conséquences importantes dans de nombreux marchés et son développement n’a pas ménagé le secteur de la téléphonie mobile. En effet, le secteur des télécommunications souffre depuis plusieurs années de l’expansion du numérique, avec l’arrivée de services concurrents qui ont débarqués sur nos smartphones et nos ordinateurs. Ces services, que l’on nomme “Over The Top” (Ou “OTT”), traduit en français comme “service de contournement”, remplissent les mêmes fonctions que les opérateurs de télécommunications classiques. Mais, leur particularité réside principalement dans le fait qu’ils n’ont pas de réseau propre : ils utilisent l’internet. Il s’agit plus communément d’applications telles que Skype ou encore Whatsapp, permettant également d’envoyer des messages ou de passer des appels. Ces applications séduisent davantage les utilisateurs au détriment des opérateurs classiques, de par leur gratuité, leur modernité et leurs fonctions diverses. D’autant plus qu’aujourd’hui, tant dans le marché des communications électroniques que dans d’autres marchés, la tendance de consommation se tourne de plus en plus vers le web. Ce sont tout autant de risques qui ont poussé les opérateurs à agir, pour ne pas voir ces “OTT” remplacer leurs propres services. A plus forte raison que ces derniers ne sont pas soumis aux obligations très strictes, imposées aux opérateurs. Il y a donc une réelle asymétrie dans la réglementation et les opérateurs traditionnels comme Orange ou SFR, revendiquent depuis déjà quelques années, un alignement.
Certains pays ont déjà pris les devants. Effectivement, au Maroc en janvier 2016, les trois opérateurs officiels avaient obtenu gain de cause : ils étaient parvenus à bloquer totalement l’accès aux fonctions d’appels. Cette décision avait même été soutenue par l’ANRT (Agence Nationale des Réglementations des Télécommunications du Maroc). Mais, depuis le 4 novembre dernier, le gendarme marocain des télécommunications est revenu sur sa décision et a finalement débloqué les appels vocaux via l’internet, au motif de “L’évolution, tant au niveau national qu’international, de la situation des marchés des télécommunications et du contexte réglementaire”. Ce n’est pas le seul pays à avoir pris une telle mesure. L’Egypte ou encore les Emirats Arabes-Unis ont également suivi cet exemple. Il n’est effectivement pas question d’aller aussi loin en Europe mais, la Commission européenne commence à étudier la possibilité d’une évolution.
D’anciennes revendications enfin prises en compte au niveau européen
Plusieurs visions s’affrontent, tant d’un point de vue juridique que stratégique. D’une part, les opérateurs voient dans cette différence de traitement, une concurrence déloyale. Ces derniers avaient une place de choix dans leurs pays, qui a été remis en cause par l’arrivée de ces services modernes. Il a donc été difficile pour eux de voir arriver sur le marché des concurrents aussi redoutables. D’autre part, pour les dirigeants de ces services “OTT”, ces applications représentent l’avenir de la communication et les soumettre à une réglementation trop stricte pourrait porter atteinte à l’innovation. Aujourd’hui pourtant, les opérateurs classiques et les autorités de régulation semblent enfin obtenir gain de cause. En effet, la Commission européenne commence tout juste à s’intéresser aux problèmes engendrés par ce déséquilibre.
Pendant des années, ces services étaient quasiment libres sur de nombreux points. Outre le fait qu’ils échappaient aux obligations de déclaration ou encore aux obligations fiscales, ces services de contournement n’étaient pas non plus soumis à certaines autres obligations, garantissant pourtant, certains droits pour les utilisateurs : le droit à la portabilité par exemple, ou encore l’accès à un numéro d’urgence. Mais surtout, c’est le manque de protection des données personnelles des usagers qui était montré du doigt. Après de nombreux bras de fer entre tous ces acteurs, l’objectif de cette évolution envisagée par Bruxelles, serait donc de ne plus favoriser les “OTT” et de rééquilibrer ainsi le marché.
L’ébauche de la nouvelle réglementation européenne : un projet apparaissant difficile à mettre en œuvre
La Commission européenne, sous pression constante des opérateurs européens, tente finalement de réduire les écarts dans la réglementation. En septembre 2016, la Commission a présenté ses principaux projets concernant le sort des “OTT” dans le cadre du nouveau Paquet Télécoms. Celle-ci propose alors de distinguer en trois catégories, les opérateurs de service de communication par l’internet. Ces trois catégories se distinguent de par les services proposés. En effet, plus ces services se rapprocheront de l’activité traditionnelle d’opérateur de communications électroniques, plus il sera soumis au cadre juridique classique. Les “OTT” proposant les services les plus éloignés seront donc exonérés d’un certain nombre d’obligations.
Au final, bien que la Commission tente enfin de faire rentrer ces services de contournement dans le droit commun, ce projet reste pour l’instant, difficile à mettre en œuvre en raison des différences juridiques qui existent entre ces deux types d’opérateurs. En effet, les services “OTT” reposent sur une application informatique et n’utilisent donc pas le réseau à proprement parler. Mais, notons qu’en France, après des années de refus face aux nombreuses sollicitations de l’ARCEP, Microsoft serait sur le point de déclarer Skype en tant qu’opérateur. En effet, le géant américain se trouverait dans une impasse, due à un amendement de la Loi Macron qui offrirait à l’autorité de régulation française, le pouvoir de déclarer comme opérateur, toute entreprise exerçant une activité qualifiée de télécommunications.
La protection des données personnelles : la seconde bataille de Bruxelles contre les OTT
Bruxelles est sur tous les fronts et en ce début d’année, la Commission s’est penchée sur un autre sujet épineux concernant ces acteurs : celui des données personnelles. En effet, un nombre impressionnant d’informations sur les utilisateurs transitent chaque jour par le biais de ces services. Pourtant, ces derniers n’étaient soumis à aucune réglementation en la matière, contrairement aux opérateurs classiques. Ils étaient libre d’en faire ce qu’ils souhaitaient, à partir du moment où l’usager avait accepté les conditions d’utilisation. Une seconde asymétrie dans la réglementation, qui exaspérait les opérateurs classiques.
Face au lobbying d’opérateurs européens tels qu’Orange ou encore Vodafone, Bruxelles tente à ce sujet également, de faire bouger les choses. Un projet de règlement a été présenté par la Commission européenne le mardi 10 janvier, destiné à remplacer la directive “Eprivacy”. Ce projet met en place principalement, l’obligation d’obtenir le consentement préalable des usagers pour exploiter leurs données et de les informer tous les six mois, de la continuité de cette exploitation.
Avec ces deux projets, Bruxelles tente de mettre ces opérateurs sur un pied d’égalité. Reste à voir la manière dont ces projets évolueront au vu des nombreux obstacles juridiques qu’ils risquent de rencontrer.
SOURCES :
(D.) PERROTTE, « Le plan de Bruxelles pour réguler Skype et Whatsapp », lesechos.fr, publié le 14/09/2016, consulté le 22/01/2017, http://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/0211287837814-le-plan-de-bruxelles-pour-reguler-skype-et-whatsapp-2027353.php
TEXIER (L.), « En obligeant Skype et Whatsapp à devenir des opérateurs, l’UE va accélérer la mort d’Orange et de SFR », journaldunet.com, publié le 17/08/2016, consulté le 22/01/2017, http://www.journaldunet.com/ebusiness/expert/65031/en-obligeant-skype-et-whatsapp-a-devenir-des-operateurs–l-ue-va-accelerer-la-mort-d-orange-et-de-sfr.shtml
(D.) PERROTTE, “Whatsapp et Skype rattrapés par Bruxelles”, Lesechos.fr, publié le 10/01/2017, consulté le 25/01/2017, http://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/0211678191447-whatsapp-et-skype-rattrapes-par-bruxelles-2056016.php
(E.) WERRY, “Les OTT tels que Skype ou WhatsApp seront régulés en Europe”, droit-technologie.org, publié le 12/08/2016, consulté le 16/01/2017, http://www.droit-technologie.org/actuality-1811/les-ott-tels-que-skype-et-whatsapp-seront-regules-en-europe.html
ANONYME, “Skype bientôt sur écoute grâce à la loi Macron ?”, lefigaro.fr, publié le 13/03/2015, consulté le 24/01/2017, http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/03/13/32001-20150313ARTFIG00081-skype-bientot-sur-ecoute-grace-a-la-loi-macron.php