Mesure exceptionnelle prévue par la loi n°55-385 du 3 avril 1955, l’Etat d’urgence est initialement prévu pour une durée de 12 jours. Parallèlement, à sa prolongation ces derniers mois, un projet de loi a vu le jour « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ». Selon le gouvernement, près de 2 000 personnes sont impliquées dans le processus de radicalisation. Il convient de souligner que la menace terroriste a changé de physionomie ces dernières années et internet est l’un des facteurs de ce changement. Afin de lutter contre ces menaces, un véritable arsenal juridique se construit autour d’elles. En effet, ce projet de loi prévoit des dispositions propres aux communications électroniques avec une extension considérable de la surveillance.
Des dispositions audacieuses mais pour certaines supprimées par la Commission mixte paritaire
Si on ne peut nier l’impact positif d’internet sur nos sociétés, il peut se révéler être une véritable menace. En effet, les groupes terroristes ont développé une stratégie de propagande autour de l’internet : cela passe du simple tweet à un véritable court métrage diffusé sur des sites de vidéos en ligne. Afin de lutter contre l’ampleur de cette menace, la commission mixte paritaire s’est mise d’accord le lundi 9 octobre 2017 sur le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. »
Le texte s’intéresse d’abord à un dispositif particulièrement controversé à savoir le dispositif « des boites noires ». Issues de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, les boites noires permettent d’examiner les métadonnées des connexions des abonnés. Cependant, ce dispositif a fait l’objet de nombreuses critiques puisque les informations récoltées ne sont pas toutes en lien avec le terrorisme. Pourtant, le Conseil Constitutionnel a validé une grande partie de la loi dans une décision du 23 juillet 2015. Il a estimé que les dispositions de ce texte ne sont pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit à la vie privée et au secret des correspondances. Cependant, ce dispositif des boites noires est soumis à plusieurs restrictions. En effet, les boites noires ne peuvent être utilisées que dans un délai restreint à savoir jusqu’à la fin 2018 et un « rapport d’étape doit être réalisé ». Le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » prévoit un délai plus long de l’utilisation de ce dispositif.
Il était prévu, dans ce projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale le 3 octobre 2017, une obligation pour les personnes suspectées de « déclarer les numéros d’abonnement et identifiants techniques de tout moyen de communication électronique ». Cela regroupe par exemple les adresses emails ou encore les identifiants Facebook. Dès lors, il y avait une véritable volonté de cibler la surveillance. Cependant, cette mesure particulièrement audacieuse a été supprimée par la commission mixte paritaire le 9 octobre 2017. En effet, cette obligation soulève de nombreuses interrogations notamment au regard du droit au respect à la vie privée prévu à l’article 9 du code civil. Tout d’abord, les personnes susceptibles d’être concernées par cette obligation sont celles pour qui il existe « des raisons sérieuses de penser que le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre public » et « entrent en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations (terroristes) » ou « soutiennent, diffusent ou adhèrent à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes. » Ici l’emploi de termes subjectifs tels que « des raisons sérieuses de penser » risquait de créer de véritables incertitudes quant aux personnes susceptibles d’être concernées par cette mesure. Outre l’emploi de termes subjectifs, se pose la question de la mise en balance entre vie privée et l’obligation même pour les personnes suspectées « de déclarer les numéros d’abonnement et identifiants techniques. » Cette obligation pouvait être vue comme une entrave au droit au respect à la vie privée puisque les autorités administratives étaient susceptibles d’avoir accès aux contenus stockés dans « les terminaux numériques.» Cependant, la fourniture des mots de passe n’était pas évoquée par le texte et il était impossible pour les différentes autorités d’avoir accès à ces données. Toutefois, cela apparaissait, selon le président de la commission des Lois du Sénat Philippe Bas, « manifestement contraire aux droits fondamentaux dont le respect est garanti par le Conseil constitutionnel.»
Outre ces mesures, les communications par voie hertzienne sont elles aussi au centre du débat.
La surveillance des communications par voie hertzienne : une nouvelle version pour lutter contre des nouvelles menaces
Dans sa rédaction issue de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, l’article L.811-5 du code de la sécurité intérieure dispose que : « Les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre, ni à celles de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale (‘’techniques de recueil de renseignement soumises à autorisation délivrée par le Premier ministre après avis préalable de la CNCTR’’) ». Le Conseil Constitutionnel a dès lors été saisi le 25 juillet 2016 d’une question prioritaire de constitutionnalité et a censuré le 21 octobre 2016 l’article L.811-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi relative au renseignement, en raison d’une atteinte manifestement disproportionnée à la vie privée et au secret des correspondances. En effet, au regard du texte, l’interception ou encore le recueil de données individualisables ne sont pas exclues par ce dernier. Cependant, le Conseil Constitutionnel a reporté « au 31 décembre 2017 la date d’effet de cette déclaration d’inconstitutionnalité » et le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » s’inscrit dans ce cadre-là. En effet, il remet sur le devant la scène cette mesure et apporte des précisions à la surveillance des communications par voie hertzienne qui était prévue par la loi du 24 juillet 2015. Dans sa nouvelle version, il est effectivement précisé que cette surveillance ne s’applique qu’à celles qui font intervenir des opérateurs.
La sécurité des Français est au cœur de ce projet de loi et conduit à mettre en place des mesures particulièrement audacieuses dont certaines ont été supprimées. Toutefois, elles restent directement liées à la lutte contre la menace terroriste. Cependant, un nouveau débat revient sur le devant de la scène : la constitutionnalité du délit de consultation habituelle de site terroriste. Un véritable arsenal juridique se construit donc autour cette menace.
La question de la constitutionnalité du délit de consultation habituelle de site terroriste
Le Conseil Constitutionnel avait été saisi par la Cour de Cassation le 7 décembre 2016 d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité de l’article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Cependant le Conseil Constitutionnel dans sa décision n°2016 611 QPC du 10 février 2017 a déclaré cet article contraire à la Constitution. En effet, ce texte apparaissait : « inutile, inadapté et disproportionné avec la Déclaration des droits de l’homme de 1789. ». La commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurité publique réintroduit le délit de consultation habituelle de site terroriste, le texte ayant été réécrit pour éviter une nouvelle censure. Si en apparence le débat semblait clos, par un arrêt en date du 4 octobre 2017, la Cour de Cassation transmet une nouvelle QPC afin de constater la conformité du nouveau texte. Il est important de remarquer que ce délit peut très vite rencontrer des limites : un étudiant qui consulte des sites terroristes pour ses travaux universitaires peut-il être sanctionné de la même manière qu’une personne qui consulte les mêmes sites mais à des fins illégitimes ?
Outre les mesures de surveillance prévues par la loi antiterroriste, de nouveaux délits sont érigés afin de lutter contre la menace terroriste grandissante. Si la loi antiterroriste a été adoptée le 11 octobre 2017 toutefois, l’ensemble de ces mesures semble se heurter aux droits et aux libertés fondamentaux. Ainsi, serait-il possible au nom de la sécurité de remettre en question ces mêmes droits et libertés ?
SOURCES :
LAUSSON J., « La constitution de nouveau interrogée sur le délit de consultation habituelle de sites terroristes », numerama.com, mis en ligne le 6 octobre 2017, consulté le 8 octobre 2017.<http://www.numerama.com/politique/295608-la-constitution-de-nouveau-interrogee-sur-le-delit-de-consultation-habituelle-de-sites-terroristes.html>
LAUSSON J., « Après le vote du projet de loi antiterroriste, que va devenir l’obligation sur les identifiants ? », numerama.com, mis en ligne le 3 octobre 2017, consulté le 8 octobre 2017.<http://www.numerama.com/politique/294790-apres-le-vote-du-projet-de-loi-antiterroriste-que-va-devenir-lobligation-sur-les-identifiants.html>
LAUSSON J., « Terrorisme : l’obligation de déclarer tous ses identifiants en ligne est supprimée», numerama.com, mis en ligne le 9 octobre 2017, consulté le 10 octobre 2017. <http://www.numerama.com/politique/296025-inutile-inconstitutionnelle-lavenir-incertain-de-lobligation-de-declarer-tous-ses-identifiants-en-ligne.html>