Le 1er novembre 2017, Facebook et Twitter ont été auditionnés par le Congrès dans le cadre de l’enquête menée sur l’ingérence de la Russie dans les élections présidentielles américaines. Après avoir reconnu la vente d’espaces publicitaires durant la campagne présidentielle à de faux comptes russes, ils ont du apporter des précisions sur ces publicités soupçonnées d’avoir influencé l’opinion publique. En effet, alors que la majorité des médias américains annonçaient la victoire de la candidate démocrate, Hillary Clinton, c’est finalement le candidat Républicain Donald Trump qui s’est retrouvé à la tête du pays à la surprise générale. Les faux comptes russes semblent donc avoir profité du manque de vigilance des géants du net mais aussi des outils mis en place par ces derniers pour effectuer une certaine propagande.
L’ingérence de la Russie sur les réseaux sociaux : l’efficacité des algorithmes et le manque de vigilance des géants du net
La publicité oriente nos modes de consommation et de réflexion et est de plus en plus présente sur internet. Pour améliorer son efficacité, les réseaux sociaux ont petit à petit développé des algorithmes afin de ne proposer que des publicités ciblées. L’algorithme enregistre ainsi les goûts des utilisateurs, leurs hobbies, leurs opinions, leurs centres d’intérêts ou encore leurs idées politiques pour leur soumettre une publicité personnalisée. Il vient ainsi trier l’information afin de ne proposer que des contenus intéressants pour l’utilisateur.
Bien qu’efficace, ce procédé est vivement critiqué car il semble porter atteinte à la démocratie en enfermant les utilisateurs dans des « bulles de filtres ». Ce concept développé par Eli Parise (militant d’internet) revêt deux dimensions : d’une part le filtrage de l’information et d’autre part l’isolement intellectuel. Finalement, l’utilisation d’algorithmes n’informe la personne que sur les idées qu’elle partage. Corolairement, toutes les informations qui ne correspondent pas à la philosophie de vie de l’utilisateur et donc qui ne sont « pas intéressantes » pour lui, ne lui sont pas présentées. Concrètement, une personne qui « like » régulièrement des publications venant d’un média démocrate, ne verra apparaître sur ses réseaux sociaux, que des publications relayant des idées démocrates. L’utilisateur s’enferme alors dans sa bulle, dans la mesure où l’information à laquelle il a accès est limitée, unanime, il pense détenir la vérité puisqu’il ne peut pas confronter plusieurs idées, tout du moins automatiquement. Il apparaît clairement que cette personnalisation met en danger la démocratie, quand on sait qu’aujourd’hui près de 62% des américains utilisent les réseaux sociaux pour s’informer régulièrement.
Dans la récente affaire qui met en lumière l’ingérence de la Russie dans les élections présidentielles américaine, il apparaît clairement que les algorithmes développés par Twitter ou Facebook ont permis à la Russie d’influencer un maximum d’électeur. A titre d’exemple un faux compte pro LGBT et pro-Trump a été diffusé uniquement auprès des utilisateurs gays et lesbiens diffusant ainsi de fausses publicités en faveur du candidat républicain. Ou encore dans l’une des publicités dévoilée récemment par Facebook, on voit Satan faisant un bras de fer avec Jésus. Satan dit « Si je gagne, Clinton gagne », ce à quoi Jésus rétorque « pas si je peux l’en empêcher ». Cette publicité apparaissait sur tous les fils d’actualités des utilisateurs présentant des intérêts pour Dieu, le catholicisme, la bible ou le présentateur de Fox News (média républicain). On voit donc que les faux comptes russes se sont largement servis des algorithmes pour rendre leur publicité efficace, adresser les bons contenus aux bonnes personnes, et effectuer ainsi une propagande massive.
De plus, les algorithmes ont permis de cibler les publications en fonction de la localisation des utilisateurs. Ainsi, la proposition de Donald Trump visant à renforcer les frontières a été relayée majoritairement sur les profils des utilisateurs habitant près des frontières.
Facebook tente de minimiser les dégâts et révèle ainsi que 10 millions d’utilisateurs auraient été impacté par ces publicités. Toutefois le journal Wall Street évoque quant à lui plus de 126 millions d’utilisateurs concernés soit plus de la moitié des utilisateurs américains du réseau social. De son côté, Instagram affirme que 120 publications en faveur de Donald Trump ont été diffusées, impactant ainsi 20 millions d’utilisateurs. Enfin Twitter estime que 200 comptes sont liés, mais là encore, Business news l’infirme évoquant près de 36 000 comptes.
Ces publicités mensongères ont donc été diffusées en masse impactant ainsi l’opinion publique et de ce fait les élections présidentielles de 2016.
Le projet de loi face à la remise en question des principes fondamentaux de la démocratie
L’ingérence de la Russie dans la campagne présidentielle américaine de 2016 semble remettre en cause les principes fondamentaux de la démocratie et notamment le principe du pluralisme politique qui repose sur l’expression de toutes les opinions. Initialement, les réseaux sociaux étaient considérés comme des outils de démocratisation, permettant de confronter un certain nombre d’opinions et d’idées politiques. Toutefois avec la montée en puissance des algorithmes, et l’enfermement des utilisateurs dans des « bulles de filtres », la tendance semble s’être inversée. Les réseaux sociaux sont ainsi soupçonnés d’avoir influencer le Brexit, les primaires de la droite ou encore les élections américaines, mettant ainsi à mal la démocratie.
Mais comment l’ingérence d’un pays tiers dans les élections américaines via les réseaux sociaux a-t-elle pu se produire ? Il faut savoir qu’en 2006, la commission électorale américaine a affirmé que les réseaux sociaux n’étaient pas des médias traditionnels. Ainsi, les lois applicables en matière de presse écrite, télévisuelle ou radiophonique ne sont pas les mêmes que celles qui s’appliquent sur internet. Dès lors, les réseaux sociaux, contrairement aux médias traditionnels, n’ont pas l’obligation d’identifier le financement des publicités politiques.
Mais cette réalité semble aujourd’hui désuète, dans une Amérique ou 2 utilisateurs sur 3 utilisent les réseaux sociaux pour s’informer. La loi américaine ne semble pas s’être adaptée à cette nouvelle réalité. A cet égard, la professeur de droit Ann Ravel, vice présidente de la commission électorale fédérale affirme que « la faiblesse des règles actuelles de la FEC rend pratiquement impossible pour les régulateurs et les citoyens de déterminer si le financement d’une publicité politique en ligne provient d’une source nationale ou d’un ennemi étranger ». Afin de remédier à cela, des sénateurs américains ont donc rédigé un projet de loi pour soumettre les réseaux sociaux aux mêmes règles de transparence que les médias classiques, tout du moins concernant la publicité politique. Ils souhaitent donc que les réseaux sociaux, tels que Facebook, Twitter ou encore Instagram, utilisés aujourd’hui comme des médias informationnels, identifient le financement des publicités politiques.
De plus, ce projet de loi prévoit de renforcer la loi interdisant le financement des publicités politiques par des étrangers. Finalement avec cette affaire on se rend compte qu’il y a un véritable vide juridique qui se traduit par l’absence totale de régulation des informations divulguées sur les réseaux sociaux, et que les faux comptes russes se sont servis de cette faille pour s’introduire dans le système américain et tenter de corrompre les utilisateurs. Ce projet de loi montre donc une volonté de régir strictement la publicité politique sur internet. Il prévoit notamment l’obligation pour les réseaux sociaux de mentionner les commanditaires de la publicité ou encore ou encore pour les grands sites, l’obligation de conserver un fichier des publicités politiques pour tout annonceur dépensant plus de 500 dollars sur une période de 12 mois avec le nom du candidat soutenu et celui du payeur.
Toutefois, ce projet semble difficile à mettre en œuvre dans la mesure ou l’accès à ces informations pour le régulateur est rendu difficile par l’utilisation des algorithmes. En effet, avec le tri de l’information, chacun visualise des publications différentes et les mêmes contenus ne sont pas accessibles par tous.
De plus, les Géants du net s’opposent à ce projet car cela représenterait une charge de travail considérable pour eux mais surtout parce qu’ils considèrent qu’internet ne peut pas être traité comme un média classique. En effet, il est beaucoup plus compliqué d’identifier un annonceur sur internet que dans les médias traditionnels. Enfin les chefs du Congrès n’ont pour l’instant pas soutenu ce projet de loi.
Bien qu’un alignement du droit des médias classiques sur internet semble incontestable, ce projet de loi ne semble pas traiter le problème dans sa totalité. Certes, les réseaux sociaux devront identifier l’annonceur, mais rien ne les obligera derrière à vérifier le contenu, et donc de lutter contre la désinformation et les fausses informations.
Malgré tout, cette législation paraît nécessaire étant donné les conséquences de ce vide juridique.
Les outils intermédiaires proposés par Facebook et Twitter
Le projet de loi ne semble pas faire l’unanimité, particulièrement auprès des géants du net qui ne paraissent pas vouloir aligner les règles applicables aux médias classiques aux règles applicables sur internet. De ce fait, suite à l’enquête menée dans le cadre de l’ingérence de la Russie lors des élections présidentielles, les réseaux sociaux ont proposé la mise en place de nouveaux outils afin de lutter contre les ingérences des pays tiers et ainsi garantir les principes démocratiques.
Marc Zuckerberg, cofondateur de Facebook réalise donc actuellement une expérimentation au Canada. L’idée c’est que pour chaque contenu sponsorisé, l’utilisateur peut cliquer sur le bouton « onglet » pour obtenir des informations sur la provenance du contenu sponsorisé, mais également sur la page de l’annonceur. Cet onglet permet également de regarder les contenus qui ont été financés sur Facebook. Mais cet outil semble incomplet, dans la mesure où cela suppose une certaine curiosité de la part de l’utilisateur donc son efficacité semble compromise. Une fois l’expérimentation terminée, Facebook prévoit de mettre en place ces dispositifs aux Etats-Unis, avant les élections de mi-mandat prévues pour 2018.
Facebook s’engage également à exercer un contrôle renforcé pour vérifier l’identité des annonceurs, ce qui semble assez pertinent dans la mesure où en se focalisant plus sur leur identité, les réseaux sociaux auraient pu s’apercevoir que finalement les espaces publicitaires avaient été vendus à des « trolls » russes.
De son coté, Twitter envisage également un contrôle plus important de l’identité des annonceurs, mais seulement sur les publicités ayant un contenu politique.
Cette affaire met en avant les failles des réseaux sociaux dans la surveillance et le manque d’action des réseaux sociaux. Elle relève la dangerosité des algorithmes et notamment de leur utilisation en dehors des activités commerciales. A mon sens, l’origine, la religion ou encore les opinons politiques relèvent du droit à la vie privée, droit reconnu aux Etats-Unis depuis l’arrêt United States v Miller de 1976. De ce fait, les réseaux sociaux ne devraient en aucun cas pouvoir se servir de ces informations pour adresser des contenus sponsorisés aux utilisateurs sur ces sujets. Cela constitue en effet une véritable menace pour la démocratie, puisque cela crée des communautés religieuses, politiques.
La conciliation entre le projet de loi et l’action des réseaux sociaux semble être la meilleure solution. En effet, la mise en place du principe de la transparence sur Internet apparaît aujourd’hui primordiale, dans la mesure où internet et notamment les réseaux sociaux servent de plus en plus à s’informer. Ainsi, les réseaux sociaux devraient permettre aux utilisateurs de s’informer librement de tout, de comparer leurs idées de manière transparente.
Les réseaux sociaux n’ont pas à faire le tri des informations pertinentes dans ces domaines là, d’autant que l’algorithme finalement crée un portrait de l’utilisateur qui n’est peut être pas véridique.
Si l’utilisation des algorithmes peut se justifier en matière commerciale, elle apparaît extrêmement dangereuse en matière politique puisqu’elle favorise la manipulation de l’opinion publique, et dans cette affaire, l’opinion des électeurs. D’autre part, les réseaux sociaux doivent développer leurs propres outils pour lutter contre la désinformation et les fausses informations et augmenter leur vigilance.
La propagande à l’heure du développement des communications électroniques est particulièrement préoccupante, si bien que le sénateur Ms Feinstein parle même de « Cyber guerre ». On est face à l’ingérence d’un pays tiers, dans les élections américaines, les failles doivent donc rapidement être comblées pour éviter de plus gros dégâts.
Sources :
Anonyme, « Des élus veulent réglementer la publicité sur Facebook », https://www.boursedirect.fr/fr/actualites/categorie/politique/usa-des-elus-veulent-reglementer-la-publicite-politique-sur-facebook-afp-94c6ff44e7cdaaf6961d0393c43511c8714a7e35 mis en ligne le 19 octobre 2017.
Seibt (S.) « Facebook : ces publicités russes qui visaient à polariser les Etats-Unis », http://www.france24.com/fr/20171102-facebook-publicite-reseaux-sociaux-trump-russie-election-americaine-clinton, mis en ligne le 2 novembre 2017.
Anonyme, « Ingérence Russe : Facebook va dévoiler l’identité des annonceurs publié », http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/ingerence-russe-facebook-va-devoiler-l-identite-des-annonceurs_1955882.html le 28 octobre 2017
Gola (R.), « Publicité digitale et encadrement des algorithmes », Droit de l’immatériel, Lamy, n°141, pp. 52-64.