Les initiatives pour lutter contre la propagation des faux médicaments se sont récemment multipliées. Au cœur de ce nouvel élan, la technologie de la chaîne de blocs ou blockchain, ici employée pour assurer la traçabilité des produits pharmaceutiques.
La notion de blockchains
Le terme de blockchain s’est notamment popularisé lors de l’essor de la cryptomonnaie Bitcoin. Les deux notions semblent encore être étroitement liées dans l’esprit d’un grand nombre. Chose qui participe à l’image floue, voire à une certaine connotation péjorative de la blockchain. Si le Bitcoin a recours à une blockchain particulière, cette technologie ne peut se résumer à cette seule utilisation.
Définitions
Il convient comme toujours d’essayer de dégager une définition sur la technologie blockchain pour bien appréhender le sujet.
Le droit français est venu encadrer sa pratique notamment dans le cadre d’émission ou de cession de titres financiers par les ordonnances du 28 avril 2016 et du 8 décembre 2017, créant les articles L223-12 et L223-13 dans le Code Monétaire et Financier. La blockchain est donc définie comme un dispositif d’enregistrement électronique partagé en droit positif.
La commission européenne, dans son communiqué de presse du 1er février 2018 relatif au lancement l’Observatoire-forum des chaînes de blocs de l’Union européenne, énonce que la technologie blockchain consiste à stocker des blocs d’informations de façon distribuée sur le réseau.
Ces définitions bien que justes, ont une conception plutôt restrictive de la notion.
Dans une optique plus large, la blockchain peut se voir définir selon Blockchain France comme une technologie de stockage et de transmission d’informations, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle.
La blockchain résulte de la fusion de plusieurs technologies antérieures :
-les outils de cryptographie avec clés asymétriques qui assurent la signature, l’horodatage et l’intégrité des transactions.
-la création d’une base de données
-les échanges pair-à-pair, qui évitent le recours à des intermédiaires
Évolution : de monnaie privée à instrument étatique
Dans une première phase, la blockchain a été utilisée dans le cadre du développement de cryptomonnaies. Avec un succès tel que certains y voient le développement de l’idéal libertarien de monnaie privée.
L’outil a par la suite rapidement été repris dans d’autres domaines, dont notamment le monde de la finance et des assurances en raison de son haut niveau de sécurité pour les transactions. Les projets d’utilisation des blockchains semblent largement se diversifier et toucher de nombreux secteurs.
Il convient, pour éviter la surabondance d’éloges, de rappeler que la blockchain n’est pas exempte de défauts. L’on peut citer son impact énergétique, les différents piratages recensés ou, pour prendre une exemple concret, les suites de la mort de Gerald W. Cotten. Ce dernier étant le créateur et dirigeant d’un plateforme d’échange de cryptomonnaies, qui a emporté avec lui les clés privées de sa blockchain, bloquant ainsi les près de 190 millions de dollars.
Mais l’intégrité de ce système semble intéresser jusqu’aux pouvoirs publics. L’Union européenne, ayant lancé des politiques en ce sens, le débat en France étant ouvert concernant l’utilisation de blockchains dans le cadre de la gestion des droits culturels et de l’état civil.
La lutte contre les faux médicaments
La technologie de la blockchain semble aujourd’hui être au centre des initiatives privées comme publiques de lutte contre un fléau de résonance mondial, la circulation de faux médicaments, cette circulation entraînant des problèmes sanitaires majeurs.
Selon l’Organisation mondiale de la santé :
– Sur un million de décès annuels dus au paludisme, 200 000 morts auraient pu être évités si les malades étaient soignés avec de vrais médicaments.
– Le chiffre d’affaires mondial du trafic de faux médicaments aurait atteint 75 milliards en 2010.
– En Afrique, les taux de médicaments falsifiés varient entre 30 % et 70 % selon les pays.
La liste des méfaits de ces faux médicaments pouvant encore largement être allongée et aucun pays ne semble être épargné. Ces contrefaçons venant en grande partie d’Inde ou de Chine.
Dans cette optique de lutte, la blockchain serait employée pour assurer la traçabilité des produits pharmaceutiques. Aux États-Unis, l’agence fédérale de santé a chargé le groupe informatique IBM, le laboratoire pharmaceutique Merck et le géant de la distribution Walmart de participer à un projet test de traçabilité. L’union de ces trois entreprises permettra un suivi de la production à la vente en passant par la commande et garantissant la transparence des médicaments.
La traçabilité étant une garantie plus sûre de l’efficacité et de la non dangerosité du médicament.
Si les différentes initiatives semblent prometteuses, elles sont également l’objet de critiques, qui redoutent certaines dérives. Notamment que les intérêts des grandes firmes pharmaceutiques l’emportent sur le droit d’accès aux soins. En effet, la propriété intellectuelle et industrielle peut dans certains cas être une barrière à la diffusion de substances actives nécessaires au traitement voir à la survie d’un patient.
Mais dans ce débat, la blockchain n’est pas en soi le problème, il s’agît bien plus de l’utilisation qui en sera faite. La technologie de la blockchain reste avant tout un outil. La connotation négative souvent associée résulte principalement des fins pour lesquelles elle est employée.
Ainsi cette technologie peut tout autant servir la spéculation boursière, les actions caritatives, le notariat ou l’organisation militaire.
SOURCES :
- Ordonnances du 28 avril 2016 et du 8 décembre 2017
- Articles L223-12 et L223-13 du Code Monétaire et Financier
- Produits médicaux de qualité inférieure ou falsifiés, OMS, 31 janvier 2018
- Communiqué de presse du 1 février 2018 de la Commission européenne
- ENJEUX DE LA FALSIFICATION DE MEDICAMENTS, IRACM
- C. Balva et C. Jeanneau, Blockchain : 5 applications concrètes (et révolutionnaires), Les Échos Start, 24 mars 2017
- P. Bertoloot, L’industrie pharmaceutique et la police judiciaire coopèrent pour lutter contre les faux médicaments, L’Usine Nouvelle, 26 mars 2019
- V. Cimino, La signature d’une nouvelle charte européenne devrait démocratiser la blockchain, Siècledigital.fr, 4 avril 2019
- M. Deneux, Walmart, Merck, IBM et KPMG vont créer une blockchain de traçabilité des médicaments, LSA-Conso, 14 juin 2019
- J.-M. Gradt, Cryptomonnaies : l’étrange disparition de Gerald Cotten, Les Échos, 5 février 2019
- M. Quet, Chasse aux faux médicaments : un prétexte bien commode pour les “big pharma”, La Tribune, 8 janvier 2019
- Qu’est-ce que la blockchain ?, BlockchainFrance.net