Le 20 novembre dernier, pour la journée internationale des droits de l’enfant, le Président de la République Emmanuel Macron a tenu un discours pour sensibiliser aux violences faites aux enfants. Son intervention était principalement centrée sur la protection des mineurs et la lutte contre la diffusion de contenus pédopornographiques. Il a également soulevé le problème de la facilité d’accès aux sites pornographiques pour les mineurs, déclarant qu’il souhaitait la mise en place de dispositifs efficaces de vérification de l’âge.
Cette dernière annonce s’inscrit dans un contexte général de lutte contre ce phénomène. Ainsi, des propositions de lois émanant des groupes parlementaires Les Républicains et La République En Marche ont été déposées en ce sens.
L’objectif est de s’assurer que les personnes qui accèdent à un site pornographique aient bien l’âge légal requis. Pour cela, le président souhaite généraliser le dispositif de contrôle parental proposé par les fournisseurs d’accès à internet ( ci-après FAI ). La responsabilisation des FAI passerait par la modification de l’article 227-24 du Code pénal, qui considérerait comme répréhensible le contenu d’un site pornographique s’il est susceptible d’être accessible a un mineur. Sans que la déclaration préalable sur l’âge ne puisse y faire échec.
Les conditions de mise en place de ce système restent encore vagues. Le président renvoyant à la notion de moyens efficaces et réels proposés par les FAI, sans plus de précisions.
Il a été évoqué l’utilisation du service FranceConnect, conçu initialement pour simplifier les relations entre l’état et les administrés.
Les craintes d’une surveillance généralisée
Le système ainsi voulu impliquerait l’identification de la personne pour chaque consultation d’un site pornographique. Il se poserait donc la question de la collecte et du traitement de ces données personnelles.
Il est relativement difficile dans ce domaine de ne pas tomber dans l’argument fallacieux de la pente glissante. Cependant l’instauration de certaines mesures de précaution peut s’avérer nécessaire au vu de la gravité que peuvent entraîner certaines dérives.
L’identification à l’entrée des sites pornographiques entraînerait une collecte massive de données, ces sites représentant la majeur partie du trafic internet. Il serait alors nécessaire de garantir la sécurité et l’intégrité de ces dernières, pour garantir le respect de la vie privée mais également empêcher les pratiques criminelles qui pourraient se développer. En effet, les dernières années ont vu les piratages de données de santé se multiplier en raison de leur valeur marchande. Il est donc fort probable que cette nouvelle source de données personnelle attire également les pirates.
Pour rester dans le parallèle avec les données de santé, l’on sait qu’elles peuvent faire l’objet d’un rançon pour être restituées. Les mêmes procédés sont envisageables pour les données de connexion à un site pour adulte. Notamment en ce que dans certains cas, rendre ces données publiques pourrait porter atteinte à l’honneur d’une personne.
L’on retrouve ici des problématiques étroitement liées aux nouvelles technologies, notamment la nécessaire balance à opérer entre la liberté, la vie privée et la sécurité. Un fondement légitime n’empêche pas les dérives liberticides. Un débat similaire agite actuellement l’Australie, où le ministre des affaires internes Peter Dutton propose d’utiliser la reconnaissance faciale pour accéder aux sites pornographiques.
Les limites de ce dispositif
Si l’intérêt supérieur de l’enfant doit rester primordial, il convient également de ne pas les sur-infantiliser. Si un mineur a accès à un contenu pornographique, c’est souvent en raison d’un démarche active de sa part. L’ensemble des mesures de contrôle parental déjà testées sont assez facilement contournables, notamment pour une personne qui a accès aux nouvelles technologies depuis son plus jeune âge. Les moins de 18 ans ont très largement grandi avec cette technologie, il s’agit en effet de la tranche d’âge la plus facilement qualifiable d’homo numericus. Ce qui a notamment justifié l’abandon du Royaume-Uni de mettre en place des mesures similaires pour limiter l’accès aux sites pornographiques.
D’autant plus que si ce projet de loi venait à se concrétiser, le moyen de contournement le plus accessible serait le recours à un réseau privé virtuel ou VPN gratuit, les mineurs n’ayant souvent pas les fonds pour un tel service payant. Ce qui pourrait entraîner un traitement massif des données personnelles de ces mineurs. Ces VPN n’étant pas réputés pour conserver en toutes sécurités les données des utilisateurs.
Cela ne veut en aucun cas dire qu’il faut laisser la pornographie en libre accès pour les mineurs, mais questionne plutôt sur l’efficacité de telles normes. Si elles mettent en place des obligations supplémentaires pour les FAI, la cible principalement visée reste les mineurs. Or il est nécessaire en la matière de prendre en considération l’attirance pour la déviance selon A.C Berghuis, la réprobation morale des groupes d’appartenances et l’effet dissuasif de la peine.
Ainsi légiférer dans ce domaine participerait sûrement plus à l’inflation législative qu’à la résolution du problème. Le droit n’étant peut-être pas le meilleur outil pour régler ce problème d’ordre sociétal et éducationnel.
Sources :
- PROPOSITION DE LOI visant à protéger les victimes de violences conjugales
- Article 227-24 du code pénal
- A. C. Berghuis, La prévention générale : limites et possibilités, Les objectifs de la sanction pénale. En hommage à Lucien Slachmuylder, Bruxelles, Bruylant, 1989
- J. Carballo, Les données de santé attirent les hackers, Le Figaro, 13 février 2015
- C. Galtier, L’Australie veut restreindre l’accès aux sites pornographiques avec la reconnaissance faciale, Le Figaro, 31 octobre 2019
- S. Kahn, Le Royaume-Uni ne contrôlera finalement pas l’identité des usagers de sites pornographiques, Le Figaro, 17 octobre 2019
- M. van de Kerchove, Les fonctions de la sanction pénale, Revue Information sociales, 2005/7, n°127
- M. Rees, Les députés LREM veulent une (vraie) vérification d’âge à l’entrée des sites pornos, Nextimpact, 5 décembre 2019
- M. Simon-Rainaud, Macron veut généraliser des dispositifs de vérification d’âge pour accéder aux sites pornographiques, 01Net, 20 novembre 2019
- À l’Unesco, Emmanuel Macron veut mobiliser contre les violences faites aux enfants, Le Figaro / AFP, 20 novembre 2019
- Protection des enfants sur internet : trois questions sur les mesures annoncées par Macron, L’express / AFP, 21 novembre 2019