Si la dilution du droit d’auteur n’est pas une nouveauté à l’ère du Big Data, l’intelligence artificielle exacerbe ce phénomène. En effet, en traitant des données en grande quantité, les systèmes d’intelligence artificielle utilisent des œuvres protégées par le droit d’auteur, comme de simples données et ce, au détriment des titulaires de droits.
Ainsi, la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), société de gestion collective des droits d’auteur dans le domaine de l’audiovisuel et du spectacle vivant, annonçait en septembre avoir trouvé un accord de principe avec le système d’intelligence artificielle Genario d’aide à l’écriture de scénarios. Cet accord offre aux auteurs une rémunération compensatrice de l’utilisation faite de leurs œuvres par le système. Or, cet engagement ravive les débats entre professionnels de la culture sur l’articulation des systèmes d’intelligence artificielle générative (IAG) avec les droits d’auteur, tout particulièrement au sujet de la pratique de datamining.
Le droit d’auteur à l’épreuve du datamining des systèmes d’IA (IA)
Traditionnellement, l’article L. 111-1 du Code de propriété intellectuelle (CPI) dispose que l’auteur jouit d’un « droit de propriété incorporelle exclusif ». Néanmoins, la dataification des objets du droit d’auteur implique inexorablement un contrôle limité des titulaires de droits.
L’exemple typique est celui des IA qui, pour fonctionner, s’entraînent sur une quantité massive de données dont certaines sont protégées par le droit d’auteur. Ce datamining porte inévitablement atteinte au monopole d’exploitation du titulaire, et l’article L. 335-3 du CPI envisage la contrefaçon largement, comme toute « reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une oeuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi ». Les systèmes d’IA commettent donc inévitablement, une contrefaçon au sens du Code de propriété intellectuelle lorsqu’elles s’entraînent sur des œuvres protégées.
Toutefois, depuis la directive du 17 avril 2019, ces systèmes d’IAG bénéficient d’une exception pour procéder à une fouille de textes et de données sans qu’ils ne doivent obtenir l’autorisation des titulaires de droits. Cette exception a d’ailleurs été pour la première fois appliquée à une intelligence artificielle générative par un tribunal allemand le 27 septembre dernier[1]. Un droit d’opposition, aussi appelé opt-out, a néanmoins été prévu par la directive à cette exception. Il consiste pour les titulaires de droits, en un droit de refuser que leurs œuvres fassent l’objet de fouilles. Les droits d’auteur ne semblent dès lors, pas entièrement compromis.
Ainsi, le Règlement IA Act adopté le 13 juin 2024 met de nouveau en lumière les enjeux d’une réglementation applicable aux IA. Plus particulièrement, à l’égard des droits d’auteur, l’article 53 dispose que les fournisseurs doivent se conformer aux droits d’auteur en mettant en œuvre des mécanismes d’identification des réserves de droits par les titulaires. Cette disposition s’inscrit dans le prolongement du droit d’opposition prévu pour les titulaires de droits et soumet les intelligences artificielles génératives à une obligation de transparence. Elle n’est néanmoins pas absolue car le résumé des contenus utilisés pour l’entraînement doit être seulement « suffisamment détaillé ». L’efficacité est encore à démontrer.
Une recherche d’harmonie entre IA et propriété intellectuelle : l’exemple d’une entente controversée entre Genario et la SACD
Dans la continuité de cet arsenal législatif, certains organismes, à l’instar de la Sacem en septembre 2023 ou de la SACD en octobre 2024, ont actionné leur droit d’opposition sur leurs répertoires pour faire valoir leur volonté de rémunération par une négociation financière. Ainsi, le 5 septembre 2024, la SACD a négocié avec les systèmes d’IA et a donc abouti à son premier accord[2]. Désormais, le service français d’IA Genario d’aide à l’écriture de scénarios est redevable d’une rémunération compensatrice de l’entraînement de son système sur les œuvres dont la SACD a la gestion.
Genario est une interface reposant entièrement sur des IA tierces comme ChatGPT, leur donnant indirectement accès aux œuvres. Se pose alors la question du respect des droits de reproduction et de représentation des auteurs qui ont fait apport de leurs œuvres à la SACD, perdant tout contrôle en contrepartie d’une simple rémunération. Cette annonce a donc provoqué des réactions divergentes du côté des acteurs culturels.
A cet égard, le Syndicat des scénaristes met en garde contre le risque qu’il existe de compromettre les efforts français à faire respecter le droit d’auteur face aux dérives des IAG. En effet, en septembre 2023, une proposition de loi avait pour objectif de soumettre l’ensemble des activités des IA à l’autorisation des auteurs ou ayants droit. Véritable garde-fou, cette disposition serait néanmoins difficile à mettre en œuvre dans un contexte de dataification des œuvres.
L’initiative de la SACD concourt donc à une meilleure rémunération des auteurs, qui selon l’article L. 131-4 du CPI, doivent bénéficier d’une rémunération dite « appropriée » notamment au regard de l’exploitation réelle de l’œuvre, et ce depuis la loi du 21 mai 2024. Les sociétés sont alors en meilleure posture que les auteurs pour négocier une rémunération avec de grandes entreprises comme ChatGPT. Une concentration des droits est en ce sens la bienvenue, la négociation financière apparaissant comme la solution la plus respectueuse du droit d’auteur en l’état actuel des choses, équilibrant les droits des utilisateurs avec ceux des auteurs. Des acteurs comme la SAIF militent d’ailleurs pour la mise en place d’une rémunération équitable des auteurs en contrepartie du datamining. En attendant, des sociétés comme la SACD prennent l’initiative d’organiser cette rémunération.
En 2016 déjà, la Pr. Marie-Christine Piatti disait « La nouvelle ère du doigt [au sens digital] attire inexorablement la propriété intellectuelle vers un modèle économique fondé sur l’accès et la rémunération ». La conclusion d’accords par les sociétés de gestion collective confirme cette prédiction, l’intelligence artificielle ne permet plus à l’auteur d’avoir la place centrale qu’il avait jusqu’alors.
[1] Tribunal de Hambourg, 27 sept. 2024, n° 310 O 227/23
[2] https://www.sacd.fr/fr/la-sacd-discute-avec-le-service-dintelligence-artificielle-genario
Articles L. 111-1, L. 335-3, L. 131-4 du Code de propriété intellectuelle ;
Article 53 du règlement européen sur l’intelligence artificielle du 14 juin 2024 ;
LOI n° 2024-449 du 21 mai 2024 modifiant l’article L. 131-4 du CPI ;
Marie-Christine Piatti, De la main au doigt de l’artiste, Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique, 2016, 02, pp. 253.