Jusqu’à aujourd’hui, l’apparition de contrefaçons sur la toile n’a pas eu les mêmes impacts selon les différents secteurs d’activités. Pour les objets tangibles (sacs, vêtements, chaussures etc…), si la possibilité d’achats de produits contrefaits a été facilitée par Internet, ce phénomène a pu être endigué en raison de l’indispensable distribution physique. En revanche, l’avènement du numérique a engendré une explosion des actes de contrefaçons des œuvres cinématographiques ou musicales.
Aujourd’hui, le secteur de la mode risque à son tour de subir cette cyber-contrefaçon. L’avènement du Metaverse risque en effet de bousculer le modèle économique des industries de la mode. Suite à l’annonce de Facebook de la formation d’une équipe dédiée au “metaverse”, l’industrie de la mode semble déjà prendre ses précautions en déposants des logos et designs virtuels devant l’Office américain des brevets ou en achetant des terrains virtuels. D’autres marques ont déjà entrepris les démarches pour défendre leurs droits dans le metaverse.
En effet, récemment la célèbre marque de luxe Hermès a assigné devant le tribunal fédéral de New York l’artiste Mason Rothschild qui a conçu les MetaBirkins sans autorisation préalable. Les MetaBirkins sont des sacs virtuels inspirés du modèle emblématique d’Hermès et revisités sous différentes couleurs et matières. Au 6 janvier 2022, la vente des NFTs MetaBirkins avait rapporté 1,1 million de dollars à l’artiste Mason Rothschild, le prix des MetaBirkins commençait à 15 200 $ et la vente la plus élevée a été conclue à 45 100 $.
Dans la plainte portée devant le tribunal fédéral de Manhattan (New York), Hermès estime être atteinte dans ses droits de propriété intellectuelle par Mason Rothschild, qu’elle qualifie d’être un “spéculateur numérique qui cherche à s’enrichir rapidement en s’appropriant la marque MetaBirkins”. Les représentants d’Hermès précisent que “la marque MetaBirkins s’approprie tout simplement le nom célèbre de la marque Hermès, le Birkin, en ajoutant le préfixe méta”.
Dans une longue déclaration publiée le 17 janvier sur Instagram, Rothschild a défendu son droit de vendre les NFTs.
Mes avocats et moi avons examiné la plainte d’Hermès. Les revendications d’Hermès sont sans fondement et nous sommes impatients de rejeter ces réclamations devant les tribunaux et d’aider à créer un précédent.
Mason Rothschild
L’artiste Mason Rothschild a déclaré que ses avocats avaient pour intention de citer les œuvres de l’artiste pop Andy Warhol. Selon Mason Rothschild, le premier amendement avait donné à Warhol “le droit de fabriquer et de vendre des œuvres d’art représentant les boîtes de soupe de Campbell”.
Invoquer les œuvres de Warhol pourrait toutefois être un argument fragile devant la Cour fédérale de New York. La Cour d’appel fédérale de New York avait statué en mars 2021 qu’une série de portraits de Warhol avaient porté atteinte à la photo protégée de Prince prise par Lynn Goldsmith.
Le fait que je vende l’art à l’aide de NFT ne change pas le fait qu’il s’agit d’art. Il est tout à fait clair, à la lecture de la plainte d’Hermès, qu’ils ne comprennent pas ce qu’est un NFT
Mason Rothschild
De son côté, Hermès, estime que “Mason Rothschild cherche à se prémunir contre les conséquences juridiques de son appropriation des célèbres marques d’Hermès en proclamant qu’il n’est qu’un artiste”.
La plateforme d’achat d’NFTs OpenSea a cessé de vendre les MetaBirkins après la plainte déposée par Hermès. Les MetaBirkins ont par la suite été proposés sur Plateforme Rarible.
La qualification juridique des NFT
Difficile de ne pas entendre parler des NFTs à l’ère actuelle. Que ce soit des artistes, des sportifs ou des entrepreneurs, toutes les personnes qui en font la promotion décrivent ces entités comme l’opportunité du siècle. Mais lorsqu’on achète un NFT, qu’est-ce que l’on achète ? Les droits d’auteur sur l’œuvre ? Le support de l’œuvre ? Un exemplaire de l’œuvre ?
Un « Non Fungible Token » ou jeton non fongible est une inscription dans une blockchain d’un lien cryptographique unique incarnant un jeton et renvoyant à un fichier numérique. Cette technologie permet d’inscrire alors un titre de propriété dans un écosystème décentralisé empêchant la falsification des transactions et permettant l’identification du propriétaire du token. La technologie NFT confère donc à un bien numérique la rareté dont il est en principe privé. Et c’est cette rareté qui va entrainer les fluctuations exorbitantes des prix de NFTs. Les NFTs répondent donc à deux besoins : la raréfaction des fichiers numériques et la possibilité de revente de ces derniers.
En principe, tout fichier sous format numérique peut être converti en NFT et faire ainsi l’objet de transactions. On retrouve dans les plateformes dédiées à la vente de NFTs des musiques, des images, des gifs ou encore des tweets.
Il convient d’abord d’exclure l’œuvre elle-même du champ de définition du NFT. Les promoteurs de cette technologie n’utilisent pas des NFTs pour céder la titularité des droits moraux ou patrimoniaux de l’auteur. L’objectif du NFT est de créer l’équivalent numérique d’un exemplaire physique d’une œuvre. L’acheteur n’est donc investi d’aucun droit moral ou patrimonial sur l’œuvre. Lorsqu’une personne achète un NFT, elle n’achète donc pas l’œuvre mais uniquement un lien cryptographique unique mentionnant cette œuvre.
S’agissant de la qualification de support, un NFT se présente sous la forme d’un lien cryptographique qui désigne une œuvre (le plus souvent en utilisant un lien URL qui renvoie à l’œuvre). L’œuvre n’est donc pas contenue dans le NFT mais uniquement mentionnée. Les œuvres numériques faisant l’objet d’un NFT ont nécessairement pour support un espace de stockage physique tels qu’un disque dur, une carte mémoire, ou une clé usb.
A ce jour, la qualification la plus appropriée aux NFTs reste donc celle de certificat d’authenticité, le NFT correspondrait à un lien cryptographique infalsifiable attestant l’intégrité du parcours d’une œuvre depuis sa “tokenisation”. Néanmoins l’objectif premier d’un certificat d’authenticité est de garantir la paternité d’une œuvre, fonction qui n’est pas remplie par le NFT. En effet, toute personne peut numériser une œuvre déjà existence et la convertir en NFT, ce qui s’est notamment passé avec les MetaBrikins. Aucun texte ne s’est réellement penché sur le régime applicable aux NFTs. On ne peut que regretter ce « besoin de loi » dans un secteur qui impacte le monde de l’art. Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique a confié à Maître Jean Martin une mission afin d’analyser le phénomène du « non-fungible token ». Un rapport est attendue d’ici le mois de Juin 2022.
MetaBirkins : Contrefaçon ou Fair Use ?
Le détournement de marques par des artistes n’a rien de nouveau, l’artiste Andy Warhol en a fait notamment sa principale “marque de fabrique”, on citera notamment les Campbell’s Soup Cans ou les Green Coca-Cola.
En détournant l’image des marques, l’artiste est protégé par son art et par le principe de la liberté d’expression. La critique peut viser toute industrie dont elle dénonce les excès, et c’est notamment ce que prétend Mason Rothschild, en déclarant que les MetaBirkins incarnent une critique de la cruauté envers les animaux présente dans l’industrie de la mode (le cuir des sacs Birkins étant remplacé par une fourrure colorée).
Ainsi, Mason Rothschild invoque la doctrine du Fair Use pour défendre ses œuvres. C’est une méthode de défense largement utilisée par les cours fédérales de common law. Contrairement aux pays de droit civil pour lesquels il existe une liste limitative d’exceptions inscrites dans la loi, le Fair Use permet aux juges américains d’apprécier au cas par cas si l’usage de l’œuvre accusée de contrefaçon est « loyal ». Cette appréciation se fait en fonction de critères :
- l’objectif et la nature de l’usage ;
- la nature de l’œuvre protégée ;
- l’importance de l’emprunt par rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée ;
- et l’effet de l’usage sur le marché potentiel ou la valeur de l’œuvre protégée.
Il est ainsi possible de reprendre des œuvres déjà existantes sans pour autant être condamné s’il s’agit d’en faire un usage autorisé par les juges.
Il est difficile de se prononcer sur le cas de l’espèce, l’appréciation se faisant au cas par cas. Si les trois premiers critères peuvent être discutés, il est évident que la vente des MetaBirkins n’a pas de conséquences sur le marché exploité par Hermès (Hermès n’ayant pas encore fait son entrée dans l’univers des NFTs).
La décision du Tribunal de New York permettra d’avoir enfin un début de jurisprudence sur les NFTs et d’enrichir la jurisprudence sur le Fair Use.
Sources :
- Mission du CSPLA sur les « Non-Fungible Tokens » (NFT) – https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Propriete-litteraire-et-artistique/Conseil-superieur-de-la-propriete-litteraire-et-artistique/Travaux/Missions/Mission-du-CSPLA-sur-les-Non-Fungible-Tokens-NFT ;
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Hermès attaque un artiste pour contrefaçon dans le Metavers – https://ancre-magazine.com/hermes-sac-birkin-metabirkin-contrefacon/?fbclid=IwAR1EhAi-XtGDT320gytPSVOY-R-dHYaVLcqzbP1MWG8Pj8WDI4pQ2Ux1B40
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Qu’est-ce que Nike va aller faire dans le Metaverse ? – https://ancre-magazine.com/nike-sneakers-nft-metaverse-pour-quoi-faire/
- Non-fungible token – NFT : chaînon manquant ou maillon faible de l’art numérique ? – Etude par Clara Zerbib et William O’Rorke – Propriété industrielle n° 5, Mai 2021, étude 11 – LexisNexis
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An Appeals Court Rules That Andy Warhol Violated a Photographer’s Copyright by Using Her Image of Prince Without Credit – https://news.artnet.com/art-world/andy-warhol-foundation-loses-lynn-goldsmith-copyright-lawsuit-1955399?utm_content=bufferb4714&utm_medium=social&utm_source=facebook.com&utm_campaign=news&fbclid=IwAR0NnD7ZAaunc2bWFyOxeQ4Sfkyn96CrDBFreT0kwNewHIgSGdrX7oC7nss
- Marque – Propriétés intellectuelles et parodie à des fins commerciales dans le secteur de la mode – Etude par Marie MALAURIE-VIGNAL et Stéphanie LEGRAND – Propriété industrielle n° 12, Décembre 2017, étude 32, LexisNexis