Ce 30 novembre, Eric Zemmour a décidé de déclarer sa candidature via son compte Youtube 39% du temps de ce clip de 10 minutes et 18 secondes est constitué d’images et d’extraits d’œuvres cinématographiques, 28% montre le candidat en train de lire son discours et 33% reprennent des extraits de son meeting. Or, les 39% de récupération d’œuvres à des fins politiques caractérisent incontestablement une violation du droit d’auteur, ce qui a d’ailleurs donné lieu à une vive réaction des titulaires de droits, des journalistes et des professionnels du droit. Le candidat a donc lancé une nouvelle polémique et s’expose à autant de procédures en contrefaçon que d’œuvres contrefaites, soit 144, laissant présager une amende salée en cas de saisine du tribunal judiciaire et de reconnaissance par un juge de l’illicéité de l’ensemble des faits rapportés.
L’appréciation des nombreuses contrefaçons d’œuvres : une vive réaction des titulaires de droits
Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » à condition que le caractère original de l’œuvre soit reconnu par un juge. Cette doublecondition permet de caractériser l’œuvre en œuvre de l’esprit. Le Code de la propriété intellectuelle contient une liste d’œuvres considérées comme des œuvres de l’esprit, liste qui n’est ni limitative ni une présomption d’originalité. Ainsi, pour être une œuvre de l’esprit, celle-ci doit être identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité et être caractérisée par un apport intellectuel propre à son auteur. En considérant l’ensemble des 144 œuvres reprises par le clip constituées majoritairement d’extrait de films, de reportages de presse, de monuments et d’images de célébrités, cela amène aisément à envisager que celles-ci soient considérées comme des œuvres de l’esprit et ainsi protégeables par le droit d’auteur.
Cette protection par le droit d’auteur conduit à ce que toute exploitation de l’œuvre, par le biais d’une représentation ou d’une reproduction, lorsqu’elle n’est pas autorisée par le titulaire des droits constitue une contrefaçon. Cette autorisation d’exploitation qui doit être établie par écrit doit stipuler les conditions de cet usage, la durée, le territoire et le support. En l’espèce, la vidéo de campagne effectue une communication non autorisée de nombreuses œuvres au public qui ne font l’objet d’aucune cession de droits comme l’ont affirmé à la presse les titulaires de droits. De ce fait, il s’agit potentiellement de contrefaçons pouvant être sanctionnées par une cessation de l’atteinte et à une condamnation au paiement de dommages et intérêts sauf à démontrer que cette utilisation est justifiée par l’une des exceptions prévues par le Code la propriété intellectuelle.
Le porte-parole du candidat a affirmé que toute action en contrefaçon serait irrecevable car le clip de campagne reprend des extraits qui sont autorisés par la courte citation et la liberté d’expression. Or, cette argumentation semble juridiquement irrecevable. En effet, les analyses et courtes citations nécessitent d’une part, que la citation soit très courte selon une appréciation proportionnelle à la durée du compte-tenu général et que cet usage soit fait à des fins « critiques, polémiques, pédagogiques, scientifiques ou d’informations » selon l’article L122-5 du CPI. De plus, les citations doivent être explicitement référencées avec des mentions claires, délimitées, ne pas dénaturer l’œuvre originale et en respecter l’esprit et la forme. Une telle incorporation des œuvres dans la vidéo de campagne poursuit une finalité politique qui n’est pas prévue par le Code de la propriété intellectuelle et peut porter atteinte à l’esprit de l’œuvre, dès l’instant où les titulaires de droit ne souhaitent pas voir leurs œuvres assimilées à des propos politiques et polémiques quand ces derniers poursuivaient une finalité artistique. Enfin, le droit d’auteur ne prévoit aucune exception relative à la liberté d’expression, celle-ci ne pouvant justifier l’usage d’aucune œuvre originale. Cette argumentation en faveur d’une exploitation illicite se confirme par les déclarations des titulaires de droits, comme le groupe Gaumont ou encore l’INA qui s’indignent face à cette vidéo.
La contrefaçon est un délit pouvant être puni d’une peine de 300.000 euros d’amende et de 3 ans de prison. Mais en plus d’une condamnation pénale, une action au civil pourrait être intentée par les titulaires de droits afin d’obtenir des dommages et intérêts pour contrefaçon et pour atteinte au droit moral de l’auteur, puisque l’assimilation d’œuvres avec un discours polémique est à même de nuire au respect de l’œuvre. Le candidat a donc pris de nombreux risques avec la diffusion de cette vidéo. Néanmoins, au-delà de la contrefaçon d’œuvre de l’esprit, il semblerait qu’il ait également un potentiel usage illicite de marques.
L’appréciation quant aux potentielles contrefaçons de marques : un usage aux revendications plus discrètes
Contrairement au droit d’auteur, la contrefaçon de marque est caractérisée dès lors que le signe distinctif déposé est reproduit, imité ou utilisé sans l’autorisation préalable expresse de son titulaire. Ainsi, toute utilisation sans autorisation d’une marque, par le biais de son nom ou de son logo, constitue une contrefaçon. Au sein de la vidéo de campagne d’E. ZEMOUR, il a notamment été repris le logo « Le Parisien », « CNEWS », « Canal+ » ou encore « France 2 » et « France 3 », qui sont toutes des marques légalement enregistrées. Et ces dernières ne sont pas les seules à avoir fait l’objet d’une utilisation dans la vidéo. Aucune cession de droit ne semble avoir été autorisée dans la mesure où, comme dans le cas des œuvres de l’esprit, certains de ces groupes ont fait part de leur absence de volonté pour cet usage. Néanmoins, contrairement au droit d’auteur, le droit des marques peut admettre la liberté d’expression si cela ne constitue pas un dénigrement de la marque ou ne crée pas un risque de confusion dans l’esprit du consommateur pour capter une partie de la clientèle. La vidéo ayant une finalité politique et non commerciale, l’appréciation de l’usage de ces marques pourrait conduire à un défaut de caractérisation d’une contrefaçon malgré l’absence d’autorisation.
Ce clip publié sur Youtube n’a pas été retiré malgré les atteintes aux droits de propriété intellectuelle. Pourtant ce refus de retrait par la plateforme ne semble pas pouvoir être contesté au regard du droit en vigueur.
Le refus par Youtube de retirer la vidéo de la plateforme
Youtube en tant que plateforme numérique se positionne, dans le présent cas, comme un hébergeur de la vidéo qui n’est pas responsable du contenu publié par les internautes. Cette dernière doit seulement mettre en place les outils de nature à permettre le signalement de contenus qui porteraient atteinte au droit d’auteur ou encore qui véhiculeraient une incitation à la violence, à la haine ou au racisme. Youtube a communiqué sur son refus de supprimé la vidéo auprès de l’Agence France Presse, indiquant « ne pas avoir la possibilité sur la base du droit européen de retirer dans l’immédiat cette vidéo pour violation des droits d’auteur ». Pourtant, cette vidéo a été signalée par une dizaine de médias et de sociétés de production dont le distributeur de cinéma Gaumont, certains mentionnant la violation dont ils se considèrent victimes. Néanmoins, cette position de la plateforme se justifie dans la mesure où E. ZEMMOUR en tant que personnalité politique et candidat à l’élection présidentielle bénéficie en pratique d’une liberté d’expression plus large que les utilisateurs « anonymes ». En effet, cette thèse soutenue par de nombreux doctorants vis-à-vis des hommes politiques conduit à devoir limiter les cas de censure à celle décider par un juge en France. Un tel retrait unilatéral par Youtube malgré les signalements effectués serait perçu comme une prise de position politique et une censure injustifiée au regard des obligations qui lui sont conférés.
En revanche, la plateforme a décidé d’interdire l’accès du clip aux mineurs en raison d’images jugées violentes puisque conformément aux règlements de Youtube, il est interdit de diffuser de manière générale les contenus choquants ou violents. L’accès à cette vidéo nécessite alors que les utilisateurs prouvent leur âge lors de leur connexion sur la plateforme ou via la création d’un compte.
Ainsi, cette vidéo vue par presque 2,889 millions de personnes a déjà fait couler beaucoup d’encre au regard des contrefaçons indéniables de nombreuses œuvres de l’esprit et aux possibles atteintes au droit de certaines marques. En effet, ni la liberté d’expression ni le droit de citation ne sont des exceptions recevables lorsque l’on incorpore des images ou des extraits de films dont ne disposent pas des droits dans un clip de campagne politique. Cette atteinte massive à des droits d’auteur est d’autant plus choquante que la polémique par le biais de ces violations était volontaire afin d’obtenir de l’audience. Un tel comportement est alors juridiquement inacceptable au regard de l’importance du droit de propriété intellectuelle dans la culture juridique française qui défend une vision personnaliste et protectrice des auteurs. Néanmoins, en attendant une potentielle saisine des juridictions par les titulaires de droits, il semblerait que Monsieur E. ZEMMOUR ait réussi à établir le record du plus grand nombre de contrefaçons d’œuvres en une vidéo de seulement 10 min.
Sources :
Burel (L.), Khelifi (N.), « Vidéo de candidature bafouant les droits d’auteur : la facture s’annonce salée pour Zemmour », l’OBS, 30 novembre 2021
Imbach (R.), Geoffrey (R.) et al. « Le clip de campagne d’Éric Zemmour décortiqué : 114 séquences “empruntées “ et quelques contresens », Le Monde, 3 décembre 2021
Guerrin (M.) « Le clip de campagne d’Éric Zemmour exacerbe un phénomène maintes fois vérifié : la culture n’est jamais un sujet de propositions, elle est instrumentalisée », Le Monde, 3 décembre 2021
Philipps (G.), « Plus de 2,6 millions de vues sur YouTube pour la vidéo de campagne d’Éric Zemmour », France culture, 3 décembre 2021
Article L111-1 du Code de propriété intellectuelle
Article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle
Article L335-3 du Code de la propriété intellectuelle
CJUE, 1erdécembre 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer c. Standart VerlagsGmbH e.a.
CJUE, 13 novembre 2018, aff. C-310/17, Levola Hengelo BV/Smilde Foods BV